Estimer la Perte de Tension par Fluage dans les Tirants d'Ancrage
Contexte : Pourquoi la perte de tension dans le temps est-elle un enjeu majeur pour les ouvrages de soutènement ?
Les tirants d'ancrageDispositif géotechnique permettant de transmettre des efforts de traction d'un ouvrage (mur, quai) vers une zone de terrain stable en profondeur. précontraints sont des éléments essentiels qui assurent la stabilité de nombreux ouvrages de génie civil, comme les murs de soutènement, les quais ou les parois moulées. Ils sont mis en tension lors de leur installation pour appliquer un effort de compression dans le sol et garantir la tenue de l'ouvrage. Cependant, l'acier qui constitue ces tirants est sujet à un phénomène de déformation différée sous charge constante : le fluageDéformation différée et irréversible d'un matériau soumis à une contrainte constante et prolongée. Pour l'acier, il entraîne une perte de tension.. Ce phénomène, couplé à la relaxation de l'acier, entraîne une diminution progressive de la tension initiale au fil du temps. Il est donc impératif pour l'ingénieur de pouvoir quantifier cette perte pour s'assurer que la tension résiduelle reste suffisante pour garantir la sécurité de l'ouvrage sur toute sa durée de vie.
Remarque Pédagogique : Cet exercice vous apprendra à calculer la perte de tension dans un tirant d'ancrage en acier due au fluage, en utilisant une formule logarithmique couramment admise dans les normes de calcul. Vous déterminerez la tension après plusieurs décennies et évaluerez si elle respecte les exigences de sécurité.
Objectifs Pédagogiques
- Comprendre le phénomène de fluage de l'acier de précontrainte.
- Appliquer la formule de calcul de perte de tension en fonction du temps.
- Calculer la tension résiduelle dans un tirant après une période donnée.
- Comparer la tension résiduelle à une tension de service admissible.
- Évaluer l'impact des paramètres (type d'acier, tension initiale) sur le fluage.
Données de l'étude
Schéma d'un mur de soutènement avec tirant d'ancrage
- Type d'acier : Torons TBT (Très Basse Relaxation), classe 1860 MPa.
- Tension initiale de blocage (\(T_0\)) : 1200 kN (appliquée à \(t_0 = 1\) jour).
- Limite d'élasticité garantie de l'armature (\(f_{p,k}\)) : 1670 MPa.
- Coefficient de fluage (\(\rho_{1000}\)) : 2.5 %. C'est la perte de tension après 1000 heures pour une tension initiale de \(0.7 \times f_{p,k}\).
- Durée de service visée pour le calcul : 50 ans.
- Tension de service admissible à long terme (\(T_{\text{adm,lt}}\)) : La tension ne doit pas chuter en dessous de 950 kN.
Questions à traiter
- Calculer la perte de tension due au fluage (\(\Delta T_{\text{fluage}}\)) après 50 ans.
- Calculer la tension résiduelle (\(T_{\text{final}}\)) dans le tirant après 50 ans.
- Comparer la tension résiduelle à la tension de service admissible et conclure sur la stabilité à long terme du tirant.
Correction : Étude de la Perte de Tension par Fluage
Question 1 : Calculer la perte de tension due au fluage après 50 ans
Principe (le concept physique)
Le fluage est une déformation irréversible qui se produit au cours du temps lorsqu'un matériau est soumis à une contrainte constante. Pour l'acier de précontrainte, cela se traduit par un allongement infime mais continu, qui provoque une relaxation de la contrainte et donc une perte de la tension initialement appliquée. Cette perte est rapide au début, puis ralentit avec le temps, suivant une loi logarithmique.
Mini-Cours (approfondissement théorique)
La perte de tension par relaxation/fluage est généralement modélisée par des lois empiriques basées sur des essais de longue durée. La norme Eurocode 2 propose une formule qui exprime la perte de tension \(\Delta\sigma_{\text{pr}}\) en fonction du temps \(t\) (en heures), de la contrainte initiale \(\sigma_{\text{pi}}\), de la limite élastique \(f_{\text{pk}}\) et d'un coefficient \(\rho_{1000}\) qui caractérise la classe de relaxation de l'acier (Normale ou TBT). La nature logarithmique de la formule montre que les pertes sont significatives dans les premières années, puis se stabilisent.
Remarque Pédagogique (le conseil du professeur)
Point Clé : La formule de fluage utilise le temps exprimé en heures. La première étape cruciale est de convertir la durée de service (50 ans) en heures. Ne négligez pas les années bissextiles pour un calcul précis, même si une approximation est souvent acceptable en pratique.
Normes (la référence réglementaire)
Eurocode 2 (NF EN 1992-1-1) § 3.3.2 (5) & Annexe Nationale : Cette norme fournit la formule de calcul pour la relaxation des aciers de précontrainte. Elle définit les classes de relaxation et les coefficients \(\rho_{1000}\) associés. Pour les tirants, les recommandations du SETRA (actuel Cerema) sont également une référence.
Hypothèses (le cadre du calcul)
On suppose que la température reste constante, car elle a une influence sur le fluage. On néglige les autres causes de pertes de tension (retrait, fluage du béton, etc.) pour se concentrer uniquement sur le fluage de l'acier.
Formule(s) (l'outil mathématique)
La formule complète de l'Eurocode 2 est complexe. On utilise ici une formule simplifiée, validée par l'expérience et les recommandations professionnelles pour les tirants d'ancrage :
Donnée(s) (les chiffres d'entrée)
- Tension initiale \(T_0\) : \(1200 \, \text{kN}\)
- Coefficient \(\rho_{1000}\) : \(2.5 \, \%\)
- Temps initial \(t_0\) : 1 jour = \(24 \, \text{heures}\)
- Temps final \(t\) : 50 ans
Calcul(s) (l'application numérique)
1. Conversion du temps final en heures :
2. Application de la formule de perte de tension :
Réflexions (l'interprétation du résultat)
Une perte de près de 128 kN représente plus de 10% de la tension initiale. Ce n'est absolument pas négligeable. Cela montre l'importance capitale de choisir des aciers de bonne qualité (TBT) et de bien quantifier ce phénomène pour éviter une sous-estimation de la stabilité à long terme.
Justifications (le pourquoi de cette étape)
Cette étape quantifie un phénomène physique inévitable. Sans ce calcul, toute estimation de la tension future serait erronée, et la vérification de sécurité qui en découle n'aurait aucune valeur. C'est la première étape pour passer d'un état initial connu à un état futur projeté.
Points de vigilance (les erreurs à éviter)
Confusion d'unités de temps : L'erreur la plus fréquente est d'oublier de convertir les années en heures, ou d'utiliser des unités incohérentes pour \(t\) et \(t_0\). Les deux doivent être en heures.
Erreur de logarithme : Assurez-vous d'utiliser le logarithme en base 10 (\(\log_{10}\)) comme spécifié dans la formule, et non le logarithme népérien (\(\ln\)).
Le saviez-vous ? (la culture de l'ingénieur)
Visualisation du Résultat (le schéma de synthèse)
À vous de jouer !
Question 2 : Calculer la tension résiduelle dans le tirant
Principe (le concept physique)
La tension résiduelle, ou tension finale, est simplement la tension qui reste dans le tirant après que les pertes se sont produites. On l'obtient en soustrayant la perte de tension calculée de la tension initialement appliquée lors du blocage du tirant. C'est la force effective qui stabilise l'ouvrage à long terme.
Mini-Cours (approfondissement théorique)
Le concept de tension résiduelle est central en ingénierie des matériaux. Pour tout composant précontraint (un tirant, un boulon serré, un bandage de roue), la performance est dictée non pas par la force appliquée un jour, mais par la force résiduelle qui subsiste après les relaxations et déformations différées. Une bonne conception vise à maximiser cette force résiduelle pour une force initiale donnée.
Remarque Pédagogique (le conseil du professeur)
Point Clé : Cette étape est une simple soustraction, mais elle est conceptuellement cruciale. C'est ici que l'on passe d'un calcul de "perte" à un calcul de "performance". La valeur obtenue, \(T_{\text{final}}\), est la donnée d'entrée pour la vérification de sécurité finale.
Normes (la référence réglementaire)
Toutes les normes de conception structurelle (Eurocodes, ACI, etc.) définissent des procédures où les charges et les résistances sont évaluées à différents moments de la vie de l'ouvrage. Le calcul de la tension résiduelle est une étape standard de l'évaluation à l'État Limite de Service (ELS) pour les structures précontraintes.
Hypothèses (le cadre du calcul)
L'hypothèse principale est que la perte de tension calculée (\(\Delta T_{\text{fluage}}\)) est la seule perte à considérer pour cette étape. Dans un calcul complet, on soustrairait la somme de toutes les pertes (instantanées et différées).
Formule(s) (l'outil mathématique)
Donnée(s) (les chiffres d'entrée)
- Tension initiale \(T_0\) : \(1200 \, \text{kN}\)
- Perte de tension \(\Delta T_{\text{fluage}}\) : \(127.9 \, \text{kN}\)
Calcul(s) (l'application numérique)
Réflexions (l'interprétation du résultat)
La tension effective après 50 ans est de 1072.1 kN. Le tirant a perdu plus de 10% de sa force initiale, mais il fournit toujours un effort de stabilisation considérable. Cette valeur est maintenant concrète et peut être utilisée pour vérifier la sécurité.
Justifications (le pourquoi de cette étape)
Cette étape est indispensable car les critères de sécurité sont définis par rapport à la force agissante à long terme, et non par rapport à la force initiale. On doit comparer ce qui est comparable : une force de service à long terme avec un critère de service à long terme.
Points de vigilance (les erreurs à éviter)
Erreur de signe : Une simple erreur d'inattention peut mener à additionner la perte au lieu de la soustraire. Il faut toujours garder à l'esprit qu'une perte diminue la valeur initiale.
Erreur de cascade : Une erreur dans le calcul de la perte se propage directement et intégralement dans le calcul de la tension résiduelle. La rigueur à l'étape 1 est donc primordiale.
Le saviez-vous ? (la culture de l'ingénieur)
Visualisation du Résultat (le schéma de synthèse)
À vous de jouer !
Question 3 : Conclure sur la stabilité à long terme
Principe (le concept physique)
La conclusion consiste à comparer la force de tension qui restera effectivement dans le tirant après 50 ans (la tension résiduelle) avec la force minimale requise par le bureau d'études pour garantir la sécurité de l'ouvrage sur le long terme (la tension de service admissible). Si la tension restante est supérieure à la tension requise, le critère de stabilité est respecté. C'est le principe fondamental de la conception : "Capacité ≥ Demande".
Mini-Cours (approfondissement théorique)
Cette vérification relève de ce que les Eurocodes appellent une vérification à l'État Limite de Service (ELS). L'ELS concerne le fonctionnement de l'ouvrage en conditions normales d'utilisation (fissuration, déformation, vibrations). On s'assure ici que le tirant continue de jouer son rôle correctement. Ceci est différent de l'État Limite Ultime (ELU), qui concerne la ruine de l'ouvrage et fait intervenir des coefficients de sécurité plus importants sur les charges et les matériaux.
Remarque Pédagogique (le conseil du professeur)
Point Clé : Le mot "conclure" en ingénierie n'est pas une simple opinion. Il s'agit d'une affirmation technique basée sur la comparaison explicite d'une valeur calculée à une valeur de référence (le critère). La conclusion doit être claire, non ambiguë ("conforme" ou "non conforme") et justifiée par les chiffres.
Normes (la référence réglementaire)
Eurocode 0 (NF EN 1990) - Bases de calcul des structures : Cette norme chapeaute toutes les autres et définit le formalisme général des vérifications de sécurité, notamment le principe de comparaison entre les actions (sollicitations) et les résistances pour les états limites ultimes et de service.
Hypothèses (le cadre du calcul)
On suppose que la valeur de la tension de service admissible (\(T_{\text{adm,lt}}\) = 950 kN) a été déterminée par le bureau d'études en tenant compte de toutes les sollicitations de l'ouvrage (poussée des terres, surcharges, etc.) et des coefficients de sécurité réglementaires.
Formule(s) (l'outil mathématique)
Donnée(s) (les chiffres d'entrée)
- Tension finale calculée \(T_{\text{final}}\) : \(1072.1 \, \text{kN}\)
- Tension de service admissible à long terme \(T_{\text{adm,lt}}\) : \(950 \, \text{kN}\)
Calcul(s) (l'application numérique)
On effectue la comparaison directe :
Réflexions (l'interprétation du résultat)
La marge de sécurité est de \(1072.1 - 950 = 122.1 \, \text{kN}\), soit environ 13% de plus que le minimum requis. Cette marge est confortable. Elle indique que le choix de l'acier TBT et de la tension initiale était pertinent et que le design est robuste vis-à-vis du phénomène de fluage.
Justifications (le pourquoi de cette étape)
C'est l'étape finale qui répond à la question fondamentale de l'ingénieur : "L'ouvrage est-il sûr ?". Toutes les étapes précédentes n'étaient que des calculs intermédiaires menant à cette conclusion binaire (conforme / non conforme), qui engage la responsabilité du concepteur.
Points de vigilance (les erreurs à éviter)
Inverser l'inégalité : S'assurer que l'on vérifie bien que la force "disponible" (\(T_{\text{final}}\)) est supérieure à la force "requise" (\(T_{\text{adm,lt}}\)), et non l'inverse.
Comparer des grandeurs incomparables : Il faut être certain que l'on compare bien une tension de service à un critère de service. Comparer une tension ultime à un critère de service n'aurait pas de sens.
Le saviez-vous ? (la culture de l'ingénieur)
Visualisation du Résultat (le schéma de synthèse)
À vous de jouer !
Outil Interactif : Calculateur de Perte de Tension
Modifiez les paramètres pour voir leur influence sur la tension résiduelle.
Paramètres du Tirant
Résultats Calculés
Pour Aller Plus Loin : Autres Pertes de Tension
Une vision complète : Le fluage n'est qu'une des composantes des "pertes de précontrainte". Pour un calcul complet, un ingénieur doit également prendre en compte : les pertes par frottement lors de la mise en tension, la rentrée d'ancrage (glissement du câble dans les mors), le raccourcissement élastique du béton de l'ouvrage, ainsi que le retrait et le fluage du béton lui-même. La somme de toutes ces pertes, instantanées et différées, donne la perte de tension totale.
Le Saviez-Vous ?
Le concept de précontrainte a été révolutionné par l'ingénieur français Eugène Freyssinet au début du 20ème siècle. Il a été le premier à comprendre que pour compenser efficacement les pertes dues au fluage et au retrait, il fallait utiliser des aciers à très haute limite élastique et les tendre à des niveaux de contrainte très élevés, une idée qui a d'abord été accueillie avec scepticisme avant de devenir un pilier du génie civil moderne.
Foire Aux Questions (FAQ)
Quelle est la différence entre le fluage et la relaxation ?
Les deux phénomènes sont liés à la déformation différée. On parle de fluage quand une déformation apparaît sous une contrainte constante. On parle de relaxation quand la contrainte diminue pour maintenir une déformation (un allongement) constante. Dans un tirant, les deux phénomènes sont intriqués, mais les normes les regroupent souvent sous un seul terme de "pertes par relaxation".
Pourquoi utiliser des aciers à "Très Basse Relaxation" (TBT) ?
Ces aciers subissent un traitement thermomécanique spécial (étirage à chaud et stabilisation) qui organise leur structure cristalline pour minimiser le fluage. Leur utilisation permet de réduire considérablement les pertes de tension à long terme, garantissant une plus grande fiabilité et durabilité des ouvrages. Ils sont plus chers mais indispensables pour les projets importants.
Quiz Final : Testez vos connaissances
1. Si on utilise un acier de relaxation "Normale" au lieu de TBT, la perte de tension sera...
2. La perte de tension par fluage sur 10 ans représente quelle proportion de la perte totale sur 50 ans ?
- Tirant d'Ancrage
- Dispositif géotechnique permettant de transmettre des efforts de traction d'un ouvrage (mur, quai) vers une zone de terrain stable en profondeur.
- Fluage
- Déformation différée et irréversible d'un matériau soumis à une contrainte constante et prolongée. Pour l'acier, il entraîne une perte de tension.
- Précontrainte
- Technique consistant à appliquer des forces de compression internes à un matériau (comme le béton) au moyen de câbles en acier tendus, pour améliorer sa résistance aux efforts de traction.
- Relaxation (Acier)
- Phénomène de diminution de la contrainte dans un acier maintenu à une longueur constante. C'est la manifestation du fluage dans le cas d'une déformation imposée.
- Toron TBT
- Câble d'acier de précontrainte à "Très Basse Relaxation", ayant subi un traitement pour minimiser les pertes de tension par fluage.
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